XU WEI

XU WEI
XU WEI

Xu Wei est aussi célèbre comme écrivain que comme peintre. Mais, malgré l’admiration fervente que lui voua une élite individualiste et excentrique (le littérateur Yuan Hongdao voyait en lui «le plus grand écrivain des Ming», et le peintre Zheng Banqiao déclarait qu’il se serait volontiers fait «le chien de son seuil»), il n’a pas eu très bonne presse auprès de la critique traditionnelle, et cela pour des raisons tant morales qu’esthétiques. Un relent de scandale est resté attaché aux épisodes de sa démence et de son emprisonnement. La part la plus originale de son activité littéraire fut consacrée au théâtre, genre frivole aux yeux des lettrés orthodoxes, tandis que sa création picturale présente une violence sauvage non moins offensante pour les goûts de discrétion et de mesure qui caractérisent l’esthétique des lettrés. Mais la sorte de commotion que produisit son passage dans la littérature et surtout dans la peinture exerça une influence qui, pour ne pas s’être exprimée immédiatement, n’en eut que des effets plus durables.

Une existence romanesque

Xu Wei, plus connu en Chine sous son «prénom de courtoisie» de Wenchang, est né à Shanyin, l’actuel Shaoxing au Zhejiang, un centre culturel qui bénéficia beaucoup du voisinage immédiat de Hangzhou, dans une famille de petits fonctionnaires sans fortune. Il manifesta dès son enfance d’exceptionnelles dispositions pour les lettres, mais ne réussit cependant pas à entrer dans la carrière administrative: de vingt à quarante ans, il se présenta huit fois aux examens, chaque fois sans succès. Ces échecs successifs ne durent toutefois pas l’affecter outre mesure: sa renommée littéraire lui valait un large cercle de relations, englobant à peu près toutes les célébrités de Shanyin. Jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, sa subsistance matérielle fut assurée par son beau-père, un magistrat qu’il accompagna en poste dans une préfecture du Guangdong.

À la mort de sa femme, survenue prématurément, il reprit une existence indépendante, mais précaire, vivant d’un emploi de précepteur. C’est durant cette période qu’il commença à s’intéresser activement au théâtre et qu’il s’initia également à la pratique de la peinture. À l’âge de trente-six ans, ses talents littéraires furent remarqués par Hu Zongxian, un haut fonctionnaire qui jouissait alors d’une autorité considérable sur les provinces du Sud-Est. Hu fit de lui son secrétaire et contribua à consacrer sa réputation littéraire en l’introduisant auprès des membres les plus influents de l’élite intellectuelle de l’époque. Cette période de sécurité matérielle et de succès mondain ne devait guère durer que cinq ans et prit abruptement fin avec l’arrestation de Hu, compromis dans la disgrâce du ministre Yan Song. Hu se suicida en prison; la nouvelle de la mort de son protecteur fut pour Xu Wei un choc qui dut ébranler sa raison, car, après avoir rédigé sa propre épitaphe, il tenta par trois fois de se suicider, mais sans succès, d’abord en se défonçant la figure avec une hache, puis en s’enfonçant un clou de charpentier «long de trois pouces» dans l’oreille, enfin en s’écrasant les testicules à coups de maillet. Dans cet état d’égarement, il battit sa seconde femme à mort et se vit ainsi emprisonner pour meurtre.

La prison parut exercer un effet calmant sur son esprit. Pendant les sept années que dura son internement, il s’adonna tranquillement à l’étude, composa un traité d’abstruse théorie taoïste, ainsi que de nombreux poèmes et pièces de prose. Son régime ne semble d’ailleurs pas avoir été très sévère: non seulement il avait la faculté de recevoir des invités, mais même, à la mort de sa mère, il fut relâché le temps de régler les funérailles. Sur l’intervention d’une relation influente, il obtint finalement sa remise en liberté définitive. Il avait alors cinquante et un ans et devait encore vivre une vingtaine d’années, années de détresse matérielle, mais aussi années les plus fécondes de sa carrière artistique.

Après avoir vagabondé un temps au Shanxi, à Pékin et à Nankin, vivant aux crochets de divers amis fonctionnaires, il revint s’installer à l’âge de soixante ans dans sa ville natale. La peinture, qu’il avait commencé relativement tard à cultiver en amateur, devint alors son seul moyen de subsistance. Durant les douze dernières années de sa vie, il se trouva réduit à une misère et à une solitude extrêmes, couchant sur la paille, vendant un à un tous ses livres, n’ayant plus qu’un chien pour toute compagnie.

L’écrivain

Rangeant par ordre décroissant ses propres accomplissements artistiques, Xu Wei plaçait en premier lieu sa calligraphie, ensuite sa poésie, puis sa prose et enfin sa peinture. On aurait plutôt tendance aujourd’hui à adopter un ordre différent, sinon inverse. Dans le domaine littéraire, son œuvre considérable englobe les sujets les plus variés: un traité taoïste, un traité sur la calligraphie, divers commentaires sur les classiques. Mais la part la plus originale est encore constituée par ses travaux sur le théâtre: son essai théorique sur les origines et le développement du «théâtre méridional» (nanxi ) reste encore un ouvrage de base auquel se réfèrent les spécialistes; ses propres créations théâtrales ont force et vie (une de ses pièces historiques fut ultérieurement adaptée en style d’opéra kunqu , puis en style d’opéra de Pékin, et est encore jouée maintenant dans cette dernière forme sous le titre Ji gu ma Cao ). Sa poésie est remarquablement non conformiste: il n’hésite pas à y introduire des sujets triviaux ou burlesques. Sa calligraphie est un développement débridé du style de Su Dongpo et de Mi Fu.

Le peintre

Cependant, c’est incontestablement en peinture que Xu Wei a finalement affirmé son génie créateur avec le plus d’autorité. Il a abordé tous les genres, mais a traité avec le plus de succès les «poils et plumes», «oiseaux et fleurs», «fleurs et plantes»; dans ce dernier domaine, il manifesta une prédilection et un brio particuliers dans l’exécution des bambous, des bananiers et des vignes. Il a assurément bénéficié de l’exemple de ses prédécesseurs, Lin Liang, Zhou Zhimian et Chen Chun, mais il a apporté dans le traitement de ces genres «microcosmiques» une franchise de touche qui, avant lui, n’était guère utilisée que dans le paysage ou les figures. L’encre qu’il emploie, très liquide, est fréquemment «éclaboussée», et la forme se trouve ainsi presque entièrement libérée de la contrainte du trait. Il s’inscrit dans la tradition de la peinture lettrée, tout en y introduisant une liberté sauvage et une âpreté inconnues de celle-ci. Il présente des affinités certaines avec les maîtres de la peinture chan , Liang Kai et Muqi, sans toutefois accepter leur dépouillement ni leur ascèse du vide; son art opte au contraire pour une profusion baroque. Sa peinture réussit en fait à réconcilier la qualité intellectuelle de la peinture lettrée avec la verve et la vitalité truculentes de la peinture des professionnels de l’école du Zhejiang, Dai Jin et surtout Wu Wei. Il occupe ainsi dans le développement de la peinture chinoise une position dont l’importance historique est considérable, ouvrant directement la voie aux individualistes du XVIIe siècle (Shitao, en particulier, lui doit beaucoup), aux excentriques du XVIIIe siècle (Gao Fenghan, Zheng Banqiao et Li Shan); à l’époque moderne, il a inspiré les audaces de Wu Changshi et de Qi Baishi. Une si riche postérité a bien dédommagé Xu Wei de l’indifférence, sinon de l’hostilité, que commença par lui témoigner la critique Ming. Le petit peuple, lui, n’attendit pas le verdict final de l’élite pour faire de Xu Wei le héros d’innombrables légendes (sa destinée dramatique ne se prêtait-elle pas idéalement à l’affabulation?) qui aujourd’hui encore se racontent à son sujet au Zhejiang.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем написать курсовую

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Wei Zheng — (Zh cw|c=魏徵|w=Wei Cheng 580 643), courtesy name Xuancheng (玄成), formally Duke Wenzhen of Zheng (鄭文貞公), was a Chinese politician and the lead editor of the Book of Sui , composed in 636. He served as a chancellor of Tang Dynasty for about 13 years …   Wikipedia

  • Wei Xiaokuan — (韋孝寬) (509 580), formal personal name Wei Shuyu (韋叔裕) (but went by the courtesy name of Xiaokuan), known by the Xianbei name Yuwen Xiaokuan (宇文孝寬) during late Western Wei and Northern Zhou, formally Duke Xiang of Xun (勛襄公), was a general of the… …   Wikipedia

  • Wei Sili — (韋嗣立) (654 719), courtesy name Yan gou (延構), formally Duke Xiao of Xiaoyao (逍遙孝公), was an official of the Chinese dynasty Tang Dynasty and Wu Zetian s Zhou Dynasty, serving as a chancellor during the reigns of Wu Zetian, her sons Emperor… …   Wikipedia

  • Wei Qing — Wèi Qīng (Zh cw|c=衛青|w=Wei Ch ing, d. 106 BC), born in Linfen, Shanxi, was a general during Han Dynasty of China, whose campaigns against Xiongnu (匈奴) earned him great acclaim. He was the younger half brother of Empress Wei Zifu (衛子夫) and the… …   Wikipedia

  • Wei Yuanzhong — (魏元忠) (d. 707 [The traditional historical sources were unanimous in asserting that Wei Yuanzhong died on the way to exile, implying, but not establishing to a certainty, that he died the same year he was exiled.] ), né Wei Zhenzai (魏真宰), formally …   Wikipedia

  • Wei Anshi — (韋安石) (651 714), formally Duke Wenzhen of Xun (郇文貞公), was an official of the Chinese dynasty Tang Dynasty and Wu Zetian s Zhou Dynasty, serving as a chancellor several times, during the reigns of Wu Zetian, her sons Emperor Zhongzong and Emperor… …   Wikipedia

  • Wei Guan — (衛瓘) (220 291), courtesy name Boyu (伯玉), formally Duke Cheng of Lanling (蘭陵成公), was a Cao Wei and Jin Dynasty (265 420) official. Early life and career during Cao Wei Wei Guan was from Hedong Commandery (roughly modern Yuncheng, Shanxi). His… …   Wikipedia

  • Wei Juyuan — (韋巨源) (631 July 22, 710 [ [http://www.sinica.edu.tw/ftms bin/kiwi1/luso.sh?lstype=1 yy=710 mm=7 dd=22 兩千年中西曆轉換 ] ] ), formally Duke Zhao of Shu (舒昭公), was an official of the Chinese dynasty Tang Dynasty and Wu Zetian s Zhou Dynasty, serving… …   Wikipedia

  • Wei — Wèi (chinesisch 魏) bezeichnet: mehrere chinesische Staaten oder Dynastien: Wei (Staat) (445–225 v. Chr.) zur Zeit der Frühlings und Herbstannalen und der Streitenden Reiche Wei Dynastie (220–265) zur Zeit der Drei Reiche das von Ran Min… …   Deutsch Wikipedia

  • Wei (Etat) — Wei (État) Pour les articles homonymes, voir Wei. Histoire de la Chine …   Wikipédia en Français

  • Wei Jiansu — (韋見素) (687 763), courtesy name Huiwei (會微), formally Duke Zhongzhen of Bin (豳忠貞公), was an official of the Chinese dynasty Tang Dynasty, serving as a chancellor during the reigns of Emperor Xuanzong and Emperor Suzong. Background Wei Jiansu was… …   Wikipedia

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”